En cette Semaine québécoise de la paternité, nous avons de nombreuses raisons de célébrer. Les « nouveaux pères » du Québec sont plus investis dans leur vie familiale qu’aucune génération ne l’a été avant eux.
L’époque du père pourvoyeur – cette simple figure d’autorité incapable de changer une couche – semble définitivement révolue. Les papas d’aujourd’hui sont impliqués dans toutes les étapes du développement de leurs enfants, de la pouponnière à la collation des grades, et sont des joueurs de premier trio au sein de leur équipe parentale.
Cette petite révolution s’est opérée sur plusieurs décennies, en même temps qu’évoluaient les valeurs de notre société. Les politiques familiales adoptées par le gouvernement du Québec à partir de la fin des années 1990, plus particulièrement l’entrée en vigueur du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP), en 2006, ont cependant été un point tournant. Elles ont accéléré le changement.
Il y a 15 ans, seulement 20% des pères québécois osaient prendre un congé de paternité. Nous sommes maintenant plus de 90% à le faire, ce qui représente un sommet au pays, et de loin, alors que la moyenne dans les autres provinces canadiennes est toujours inférieure à 25%. Au fil des ans, de nombreuses études ont démontré que cette présence accrue des pères québécois à la naissance a un impact durable quant à leur implication familiale, incluant dans la planification et le partage des tâches domestiques.
Et la prochaine étape?
Nous avons fait des pas de géants, donc, à un tel point que les papas québécois sont maintenant parmi les plus investis dans leur famille non seulement au Canada, mais à travers le monde. Tout le monde en profite : papa, maman, les enfants. C’est génial! Mais…pourquoi s’arrêter en si bon chemin?
Malgré ces progrès fulgurants, la grande marche vers l’égalité est effectivement loin d’être terminée. Il faut l’admettre, un déséquilibre tenace persiste entre les responsabilités familiales assumées par les mères et les pères. La pandémie, le télétravail et la fermeture des écoles et des garderies ont d’ailleurs eu pour effet d’accroître cet écart, en accentuant souvent la charge mentale assumée par les femmes.
Malheureusement, même si elles sont avant-gardistes, nos politiques familiales tendent encore à perpétuer ce déséquilibre. Au-delà des cinq semaines qui leur sont réservées, les pères sont toujours hésitants à s’absenter du travail pour prendre soin de leurs enfants. Selon les plus récentes données rendues publiques par le RQAP, les mères québécoises prennent en moyenne 45 semaines de congé à la naissance, contre sept semaines pour les pères. Et dans 70% des couples, les semaines de congé parental dites « partageables » sont prises en totalité par la mère.
Certains pères « ne se sentent pas légitimes de négocier la division des semaines parentales. L’étiquette « congé de maternité » qui colle à ces nombreuses semaines et l’idée que la mère est la mieux disposée pour en faire usage les mènent à abandonner ce désir d’être davantage présents, non sans frustration ou sans regret », explique la sociologue et auteure Valérie Harvey, dans l’un de ses nombreux articles sur la question.
Ce déséquilibre a des conséquences multiples. Il freine la progression professionnelle des femmes qui, à un moment-clé de leur carrière, doivent mettre leurs aspirations en veilleuse pour se concentrer à temps plein à leur rôle de mère pendant un, deux ou trois ans, voire plus. À l’inverse, il freine l’élan paternel de plusieurs hommes, qui n’auront probablement jamais pareille occasion de s’occuper seuls de leurs bébés à la maison.
Afin d’encourager un plus grand partage du congé parental, le gouvernement du Québec a d’ailleurs modifié le RQAP, en 2020. On s’est toutefois contenté d’offrir des semaines additionnelles de prestations « partageables » aux parents, sans toucher à la durée du congé de paternité. L’intention est louable, mais plusieurs doutent du réel impact d’une telle mesure. Le Québec aurait pu faire preuve de davantage d’audace et suivre la voie tracée par l’Islande, où on a progressivement allongé le congé de paternité, jusqu’à atteindre une période de quatre mois réservés aux pères. Rien de moins!
Accélérer le changement
Lorsqu’on y jette un œil, les programmes de toutes les formations politiques représentées à l’Assemblée nationale regorgent de mesures visant à favoriser une plus grande égalité des sexes, et ce, dans toutes les sphères de notre société. Il s’agit d’une valeur qui fait consensus au Québec et qui transcende les lignes partisanes.
Ironiquement, l’allongement du congé de paternité a fait l’objet de très peu de propositions ou de revendications politiques, à ce jour, même si cela contribuerait à atteindre une plus grande égalité là où les hommes et les femmes passent la majeure partie de leur temps : à la maison, avec leur famille.
Au sortir d’une pandémie qui a bouleversé passablement le quotidien des pères et des mères, et à environ un an des prochaines élections générales, l’occasion serait belle de commencer à y penser.
Les nouveaux pères québécois n’attendent certainement pas une telle mesure pour continuer de prendre leur place. Dans tous les scénarios, notre petite révolution se poursuivra, lentement mais sûrement. Or, il est encore permis d’oser accélérer le changement.